Traversées

Dans le cadre d’un cycle d’ateliers danse/parole/écriture organisé par la compagnie Dassyne, j’ai accompagné des personnes peu francophones dans l’écriture d’un souvenir d’enfance. L’objectif de ces ateliers est de permettre à ces personnes de lier l’apprentissage de la langue française à des pratiques artistiques. Nous les aidons à enraciner la langue française dans leur corps et dans leur imaginaire, afin qu’elle ne reste pas uniquement une langue de difficultés administratives et de contraintes!

La thématique de ces ateliers était la notion de « traversée ». Avec Zenaïda Marin, la danseuse vénézuelienne qui animait les temps de danse, nous avons traversé la passerelle qui passe au dessus du canal de l’Ourq, dans le parc de la Vilette, à Paris. Deux groupes se faisaient face et traversaient le pont en dansant à leur rythme, chacun répondant à distance à un partenaire situé sur l’autre rive.

Quand est venu le moment de proposer un sujet d’écriture « de soi » aux participants du groupe, je leur ai proposé de se remémorer, chacun, une rivière qu’ils auraient connue dans leur enfance, et de me raconter s’ils avaient traversé cette rivière, et ce que cette traversée évoquait pour eux.

De façon étonnante, plusieurs des personnes de l’atelier m’ont parlé non pas de traversée de rivière, mais de chute ! L’une d’entre elle m’a fait le récit de la façon dont elle était tombée, enfant, dans un trou entre les enrochements d’une digue. Ce trou était tellement profond et étroit qu’elle s’y est trouvée coincée et qu’elle n’a pas pu en remonter. Il lui a fallu attendre, paniquée, l’arrivée d’un adulte pour en ressortir. Une autre personne nous a raconté comment, alors qu’elle traversait un pont en bois au dessus d’un petit torrent, fascinée, elle s’était penchée en avant et était tombée dans les remous. Une autre encore nous a fait le récit de sa chute à travers la glace d’un lac gelé.

Le point commun entre toutes ces histoires était que chaque personne semblait avoir tiré de cette traversée une force particulière. Elles avaient « traversé » la surface des choses, avaient risqué leur vie, en étaient revenues. Quelle que soit la frayeur éprouvée alors, elles avaient continué à danser au bord du vide. Comme l’a formulé l’une d’entre elle : « Mes parents me l’avaient interdit, mais une semaine plus tard, je retournais jouer là-bas. J’était intrépide! »

J’ai trouvé ce partage de souvenirs particulièrement émouvant. Les participantes de l’atelier ont donné à entendre la force qui les anime, leur courage, leur énergie. Je vois aussi dans ces récits la métaphore de la situation que ces personnes vivent. Décider de quitter son pays d’origine et de commencer une nouvelle vie dans un pays inconnu, c’est un peu comme sauter dans une rivière. On pense qu’on va simplement traverser sur le pont et on se retrouve jeté à l’eau et pris dans des remous incroyables.

C’est un bonheur de recueillir ces récits, c’est un bonheur d’être surprise par l’incroyable diversité des expériences humaines. J’espère contribuer à aider ces personnes à sortir du courant et à trouver leur place au soleil sur la rive !

Quand à moi, si je cherche dans mes souvenirs, j’ai un souvenir marquant de traversée qui a eu lieu… dans un rêve que j’ai fait quand j’étais enfant ! Je courais seule sur les rochers d’une grève à marée basse, et je voyais soudain des roches qui formaient une sorte d’arche, comme une porte. Je la traversais. Ce rêve est associé à un sentiment de liberté un peu grisant. Je ne sais pas trop comment l’interpréter, mais je sais qu’une certaine magie de mon enfance y est enfermée, et une force que je porte en moi. Peut-être est-ce cette même force qui me pousse à aider les autres à retraverser leurs souvenirs d’enfance.

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